Esprit de collections
Le monde des collectionneurs est un univers si vaste, infini, qu’il est difficile d’en appréhender les limites. Ce sont des faits d’actualité qui ont motivé ce nouvel article: l’achat d’un tableau attribué à Léonard de Vinci, “Salvador Mundi”, par un collectionneur privé (qui serait un prince saoudien), pour un coût exorbitant et les collectionneurs d’armes aux USA (armaphilie), ce qui engendre malheureusement des faits divers récurrents, régulièrement relatés dans les médias. Mais c’est aussi mon âme de collectionneuse, notamment du sable (arénophilie) qui m’a incitée à faire des tableaux de sable.
Le collectionneur, amateur ou professionnel, est un passionné qui rassemble des objets ayant trait au même thème, tant sur le plan affectif que scientifique, artistique, documentaire… Il oriente ses recherches en fonction de sa personnalité (son vécu et le monde dans lequel il évolue). Le nom des collectionneurs se termine en général par “…phile” du grec qui signifie “avoir du goût pour, de l’affinité avec”.
L’origine d’une collection peut être un premier cadeau (par exemple un jouet: une poupée, une sorcière, un ourson, une voiture…), un objet de décoration (vase, presse-papier, lampe, statuette…), une pierre ou un coquillage ramassés lors d’une balade ou d’un voyage. Mais c’est aussi l’attachement d’une personne pour sa ville, sa région, ses origines culturelles… qui le pousse à rassembler livres, cartes postales, photos et tout document concernant son centre d’intérêt. En fait tout peut déclencher “l’esprit de collectionneur”: la passion de la lecture et tout ce qui gravite autour (serre-livres, marque-pages, statuettes…), le milieu professionnel (c’est ainsi que mes parents ont collectionné des photos et cartes postales de gares, mon père agent SNCF était chef de gare), un violon d’Ingres (peinture et dessins, restauration de vieilles voitures, motos, solex et vélos, instruments de musique, disques vinyles et tout ce qui à trait à l’époque vintage etc…), la fascination pour une personnalité, une star (cinéma, musique…), l’amour porté à un animal (chat, chien, grenouille, tortue, cheval, oiseaux: cygne, poule…) un insecte (papillon, araignée…). Le monde sportif aussi regorge de coupes et de médailles. et que dire des nains de jardin (nanipabullophilie)!!! etc…
Lors de mes recherches j’ai trouvé aussi tellement de collections insolites qu’il est temps de se poser la question: Pourquoi un tel engouement? Psychologues, psychanalystes, psychiatres, philosophes, médecins se sont penchés sur le comportement des collectionneurs. Une théorie (Werner Muensterberger) avance que le collectionneur chercherait à retrouver la sensation du “doudou” primitif (poupée ou autre objet comme un hochet ou un morceau de tissu…), “objet transitionnel” qui l’a aidé à vivre la “dé-fusion avec sa mère” où un jour il s’aperçoit qu’elle peut s’absenter, ce qui lui permet de soulager sa peur de la solitude. Il est rapporté que Balzac s’est ruiné pour amasser des objets de valeur, traumatisé par une enfance sans amour , “je n’ai jamais eu de mère” disait-il… Mais je ne vais pas m’attarder sur ce terrain…
Il y les collectionneurs qui suivent des modes ou poursuivent une collection familiale. Il y a les modérés qui dépensent peu d’argent et aussi ceux qui engloutissent leur salaire.
“Les plus belles collections ont été faites avec peu d’argent et beaucoup d’amour” Abel Bonnard
L’histoire des collections est très ancienne et remontrait à l’homme de Neandertal et de tout temps l’homme a collectionné. Le terme de collectionnisme apparait à la Renaissance pour désigner une manie à rassembler des objets hétéroclites et sans valeur (cabinet des curiosités). Que de collections et collectionneurs!!! La passion du collectionneur présente différents degrés et va du simple engouement passager lié à un effet de mode, des achats compulsifs, des pulsions irrationnelles (“trouble obsessionnel compulsif” selon les “freudiens”), jusqu’à une passion dévorante (collectionisme) pouvant être assimilée à une névrose obsessionnelle.
La recherche d’un objet original, extraordinaire, rare, unique… pour l’incorporer à la collection, expose à un dilemme passion et raison. Il suffit de voir tous ces collectionneurs en quête perpétuelle de ce nouvel objet chez les antiquaires et les brocanteurs ou lors d’expositions (bourses aux collections), voire sur internet. Mais aussi lors des brocantes organisées dans les villes et villages, ils sont alors les premiers sur le terrain pour dénicher “la perle rare”. Mais beaucoup de collectionneurs ne cherchent pas forcément la rareté et la valeur d’un objet mais simplement à accroître leurs collections.
Je me rappelle ainsi d’un amateur de “Bécassines” (bécassinophilie), sans parler des amateurs de petites voitures (Norev, Majorelle, Dinky toys…), pouvant traduire un attachement à l’enfance, etc… La liste des collections est tellement longue (l’une avec plus de 900 noms!!!) que je ne vais pas la détailler mais je vais en capter quelques éléments. Une collection se termine par désintérêt ou lassitude, car le but en fait n’est jamais atteint, c’est un projet sans fin.
Le mot collection est ainsi retrouvé dans les œuvres d’Art (peintures, sculptures, céramiques, mosaïques, etc…) qui sont réunies dans de très nombreux musées, accessibles à tout public, et lors de grandes expositions qui ouvre aussi sur des collections privées. J’admire ces grands donateurs qui un jour cèdent leur collection pour que tous puissent en profiter (comme par exemple cette donation Hays au musée d’Orsay en 2016 comportant quelques 600 œuvres). Des peintres comme Monet ont été aussi de grands collectionneurs d’œuvres d’Art. Freud possédait quelque 2000 objets venant de diverses civilisations méditerranéennes disparues, des vieilleries chinoises, il a voulu que ses cendres soient déposées dans une urne de sa collection et d’après sa gouvernante il saluait tous les matins une statuette posée sur son bureau!!.
Ce mot est présent aussi dans le domaine de la mode, en Haute couture (avec des collections annuelles), et dans l’édition avec une série d’ouvrages sur un auteur ou sur un même thème (policier, historique,etc…). C’est ainsi que toute la collection ancienne des romans de Jules Verne a éveillé l’esprit de collectionneurs. Le domaine médical retrouve cette collection en un épanchement liquide (sang ou pus) dans une cavité de l’organisme.
Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant je me souviens de ces images collectées dans le chocolat, des départements dans des paquets de café, des figurines Thierry la Fronde, des papillons en plastique, des petits drapeaux métalliques, des étiquettes de camembert (tyrosemiophilie)… Puis il y eu les pin’s (philopinie), les porte-clés (copocléphilie), les timbres (philatélie), les marque pages (signopaginophilie)… La plupart de ces collections ont disparus au cours de déménagements….
Je vais égrener quelques faits qui m’ont marquée. J’ai retrouvé un petite boite de pièces de monnaie (numismatie) de très petite valeur et 2 pièces trouées (dont le mythe est de porter chance). Je me souviens avoir cherché désespérément un kopek lors d’un voyage à St Petersbourg et c’est par terre que je l’ai trouvé. Lors de mes études j’ai côtoyé un étudiant qui avait une grande variété de parfums (lécythiophilie) et de flacons (cuthomiurophilie). Je lui ai fait remarquer que cela représentait un manque de personnalité car on distingue une femme rien qu’à son parfum. Mais il m’a simplement répondu “j’aime”. Il y a effectivement un lien affectif porté à chaque collection.
Une dame m’avait rapporté l’origine de sa collection de savons miniatures d’Hôtel (saponiphilie, savonpubliphilie), qu’elle appréciait beaucoup. Son mari, souvent en déplacement professionnel lui rapportait habituellement un petit cadeau. Mais un jour il n’avait pas eu le temps de chercher, c’est donc son petit savon d’Hôtel qui a fait office de cadeau. Par la suite, il a ainsi été le “maitre d’œuvre” de cette collection (il n’oubliait jamais de lui rapporter son petit savon)….
Un collègue de travail est quant à lui féru d’histoire, surtout ayant trait à ses origines (Arménie) et il a amassé au cours des années une grande quantité de documents, livres, cartes postales (cartophilie et avec timbre cartophilatélie), photos anciennes (daguerreophilie)… Il est aussi passionné de généalogie et collectionne les estampes et les livres anciens (bibliophilie).
Récemment un documentaire a présenté un grand admirateur américain de Beethoven (conservateur d’un musée Beethoven à San Jose). Il avait acquis avec un autre compatriote, l’une des plus belles pièces de la collection, une mèche de cheveu, coupée lors du décès de ce compositeur en 1827 (à l’âge 57 ans) sur son lit de mort, par un jeune garçon de 12 ans (Ferdinand Hiller), en guise de souvenir. Après avoir voyagé pendant plus de 150 ans en Allemagne et en Scandinavie, celle-ci a été mise aux enchères chez Sotheby’s à Londres, en 1994. L’analyse scientifique chimique de 6 cheveux de cette mèche a montré que Beethoven, malade chronique, souffrait de saturnisme (intoxication au plomb). Les passionnés de musique s’intéressent autant aux instruments qu’aux compositeurs, chanteurs et ainsi au fil des années enrichissent leurs collections.
L’habitacle de certaines collections est plus restreint que d’autres. C’est ainsi que J’ai connu une passionnée de fèves de galettes des rois (fabophilie ou favophilie) et un aménagement spécial avait été organisé pour exposer sa collection. Ce n’est pas comme pour un amateur de livres (bibliomanie), de BD (bédéphilie), ou de journaux (gazettophile comme cet amateur du “Canard enchainé” qui les conserve tous), dont les collections nécessitent de multiples rayonnages. Que dire des connaisseurs de whisky (whiscophilie) dont le bar devient rapidement trop petit; ou ce passionné de vieux tracteurs (tractophilie) et celui de voitures anciennes (qui ne restaure que des 4L, autophile) mais qui habitent à la campagne!!!
Dans des cottages écossais, des collections m’ont poussée à prendre mes crayons et aquarelles pour les “croquer”. Dans l’un complètement isolé, c’était une atmosphère zen avec des bouddhas. Dans un autre (Old Church sur l’Île de Skye dont le propriétaire est antiquaire) beaucoup d’objets hétéroclites trônent sur des étagères ou des murs: tirelires (tiraliphilie) , dummies (mannequins en bois pour le dessin), etc…
Je vais terminer par quelques collections insolites, étranges: gratte dos, cure dents (dentiscalpie), sachets pour vomir (émétoaérosagophilie), brosses à dents (broephilie), coquilles d’œuf (Oologie), logos VLC (cônes de signalisation), boites de toutes sortes (alumettes, sardines etc…), emballages (chocolat, sucre, yaourt…), bouteilles et capsules de bouteilles (capsulophilie), de même des étiquettes variées (fruits, fromages, bouteilles, vêtements..), jeux et jouets divers, cintres (cincturaphilie), balles de golf (un collectionneur en possède 36000!!!), processeurs pour ordinateur (plus de 1000 pour un amateur), papier toilette (latrinapapirophilie), radiateurs (tubinophilie), et dans le domaine macabre ou morbide: cordes de pendus (schoïnopentaxophilie) mais aussi faire-part de décès (éphémératophilie, obituarophilie), têtes de mort/piraterie (calvimortapeiratophilie), sans oublier les corbillards (philocorbien ou philocorboliste)… Quel vaste monde et cet article en a montré un bref aperçu!!! Il y a de quoi se perdre et c’est à chacun d’y trouver sa voie…