La Route de la Soie

Marco Polo - Palazzo Tursi, Gênes - Source paperblog.fr

La soie est un tissu qui fait rêver. Elle évoque douceur et fascination. C’est l’imaginaire qui suit le chemin de la Route de la soie que Marco Polo a parcourue au XIII ème siècle (il relata ses aventures dans « le livre des merveilles »). Une vieille légende chinoise (3000ans avant J.C.) rapporte qu’une jeune princesse se promenant dans son jardin, épouvantée par un serpent se serait réfugiée dans les branches d’un murier, remarquant alors des cocons, elle  aurait tiré un fil d’un cocon de bombyx du murier et plus elle tirait plus le fil s’allongeait… D’autres légendes rapportent qu’un cocon était tombé dans la tasse de thé d’une jeune impératrice qui a commencé à le dérouler alors qu’elle tentait de l’extraire de sa tasse, puis a eu l’idée de le tisser…

Adulte Bombyx mori émergeant du cocon -P.gibellini - Source WikipédiaCe fil produit par le ver à soie est délié et brillant.  Le travail de la soie est un Art à part entière. La vraie soie est obtenue en dévidant le cocon de la chenille du papillon (Bombyx Mori), nourrie avec la feuille de murier. Cette vraie soie n’est pas la golette tirée de cocons percés provenant du bombyx du murier ou la bombycine tirée de cocons percés des autres bombyx, cardés et filés.

 

La grande uraille de Chine - Source francetvinfo.fr Pendant près de 30 siècles les chinois conservèrent le monopole de la fabrication et le commerce de la soie, avec menace de mort pour qui divulguerait le secret. Il en résulta bien des légendes sur sa provenance et sa fabrication. L’édification de la grande muraille de Chine (longue de 6700Km à l’origine), édifiée à partir de 800 avant J.C., achevée vers 204 avant J.C. permit de contrôler les échanges économiques, via la Route de la soie. Elle avait pour but de se protéger des peuples du Nord les Huns puis des peuples nomades des steppes du Nord  (sa partie Est reste intacte sur plusieurs centaines de Km , le reste est plus ou moins en ruine).

Une légende raconte que le secret de la soie aurait quitté la Chine vers l’Inde, au V ème siècle, dans la chevelure d’une princesse qui aurait enfreint l’interdiction (en y dissimulant un cocon et des feuilles de muriers). IL semblerait, d’après des découvertes récentes, que la civilisation dans la vallée de l’Indus connaissait et maitrisait aussi l’usage de la soie (2800-1900 avant J.C.). La sériciculture se répandra ensuite dans tout le bassin méditerranéen en 560. D’après l’histoire ce serait suite à un vol d’œufs de vers à soie par 2 moines, sous le règne de Justinien, qu’ils auraient cachés dans des cannes de bambou qu’ils ramenèrent à Byzance. Ce sont les Arabes qui au VII ème siècle qui après avoir conquis la Perse, développèrent la fabrication de la soie autour de la Méditerranée. Ce n’est que 700 ans plus tard que l’Italie et la France devinrent les 1ers producteurs en Europe.

Au départ la soie était réservée uniquement à la famille impériale et aux hauts dignitaires. Objet de luxe elle était considérée comme plus précieuse que l’or. Elle sera utilisée comme une monnaie pour payer des fonctionnaires, récompenser des gens méritants ou comme cadeau diplomatique.

« Avec du temps et de la patience, les feuilles de murier se transforment en robe de soie » Proverbe chinois

 

Soie - Van Gogh - IrisDepuis longtemps j’en apprécie la douceur car j’ai acquis plusieurs écharpes et foulards lors d’exposition ou dans des boutiques de musée (Monet, Van Gogh, Klimt, Michel-Ange…) qui me rappellent au quotidien mon attrait pour l’Art quel qu’il soit.

 

 

Soie - Corot

Soie - Michel-Ange - Chapelle Sixtine

 

De plus Arte a diffusé un documentaire (en plusieurs épisodes) sur ce fabuleux voyage mythique de la Route de la soie où le reporter Alfred de Montesquiou  a suivi les traces de Marco Polo de Venise à Xi’an, en traversant l’Italie, la Turquie, l’Iran, l’Ouzbekistan, le Kirghizistan et la Chine, suivant quelques 12000Km. C’est un parcours relatant les cultures de l’Occident et de l’Orient, l’histoire religieuse, politique et artistique, des traditions populaires et savantes et des légendes… des villes et des pays traversés. L’histoire de la Route de la soie s’intègre dans de grands épisodes historiques: la conquête de la Perse par les Arabes, les croisades, l’invasion de la perse par Tamerlan, la croissance de l’empire Mongol, le voyage de Marco Polo…

Arte

« La route de la soie a été la route de la science »  Michel Serres

Arte - La Route de la soie

 

Arte - La route de la soieLe reporter est parti de Venise, la ville d’origine de Marco Polo. Il a présenté la bibliothèque du monastère arménien de la lagune qui possède vers 170 000 volumes écrits dans toutes les langues de la Route de la soie. Il est entré en Turquie par la ville d’Edirne montrant les splendeurs de l’architecture ottomane, et une étonnante lutte traditionnelle « à l’huile ». Puis il a traversé Istanbul,  ville à cheval sur 2 mondes il a pénétré dans La mosquée Bayezid II. Il a visité Bursa qui fut un temps la capitale des Ottomans. A cœur de l’Anatolie il a découvert  de nombreux caravansérails au cours de son  périple (Sultanhani, Aksaray…). Il s’est arrêté en Cappadoce avec ses cheminées de feu et ses églises troglodytes et a retracé l’histoire des peuples de la région (en compagnie d’érudits et musicien). Il a visité l’ancienne capitale arménienne au Moyen Âge site archéologique d’Ani.

Il a découvert l’Iran au nord avec Tabriz, centre névralgique de la Route de la soie en Perse, où habite une ancienne communauté arménienne d’Iran. Après une flânerie dans le bazar, et une visite de l’église Ste Marie, il a quitté la ville et s’est arrêté au caravansérail de Jamal Abad. Puis il a retrouvé une journaliste dans un autre caravansérail à Qazvin pour évoquer l’histoire des Iraniens et cette Route de la soie. Ses pas l’ont conduit ensuite vers les ruines du château de Hasan Sabbah, chef de la secte des Hashashin, fumeurs de drogue et tueurs; ils sont à l’origine du mot « assassin » en français. Il a atteint ensuite la capitale Téhéran grande mégapole ouverte et diverse.

Il a continué son parcours iranien vers une oasis (Kashan) au centre de l’Iran avec le jardin de Fin qui fit la renommée des Perses. IL nous a fait découvrir le temple de Chak Chak, Yazd. Il s’est intéressé au zoroastrisme le plus ancien  monothéisme,  religion ancestrale perse. Il a terminé son passage en Iran par la visite de la ville Ispahan,  où les cultures se mêlent à l’élégance persane. Un membre de ma famille l’a visitée autrefois, me rapportant ses souvenirs de magnifiques tapis, de la superbe mosquée et de ses jardins fleuris se reflétant dans des plans d’eau. Nous avons pénétré ensuite dans le centre de  l’Ouzbekistan à Boukhara, cité au multiculturalisme (artistes, artisans, rabbin, spécialiste du soufisme…), pour arriver à Samarcande dont la splendeur m’a toujours fascinée. C’est un mythe de la Route de la soie, capitale au XIVème siècle de l’immense empire de Grand Khan Tamerlan.

Le parcours de l’Ouzbekistan s’est poursuivi vers sa  capitale Tachkent, puis la vallée de Ferghana, monde à la frontière entre Orient et Occident où s’entremêlent différentes cultures (turque, perse, chinoise). Arrivé au Kirghizstan à Och le reporter nous a entrainé à la découverte des montagnes et des steppes et nous a fait partager ses rencontres tout en contant l’histoire attachée à ces terres. Puis il nous a fait pénétrer en Chine à Kashgar, important carrefour autrefois pour les caravanes qui se dirigeaient en Inde, en Asie Centrale et jusqu’à Xi’an. C’est une région couvrant 1/6 de la superficie du pays, où réside une minorité turcophone (Ouïgoure). Le voyage a continué à Tashkurgan.

Puis en bordure du désert de Gobi,  le reporter nous a fait découvrir le mode de vie, les méthodes de culture,  et l’histoire de ce territoire. C’était une étape importante de la route de la soie où Gochang dont il ne reste que des ruines, était connue pour être une cité d’érudits. Une vaste nécropole a été creusée pendant 15 siècles renfermant des corps momifiés par le climat sec. Le reporter a été impressionné par un site archéologique (Jiaohe) à la fois troglolithique et comportant des temples et s’est lié d’amitié avec des jeunes Mongols, Han et Ouïgours. Les caravanes de la Route de la soie atteignaient officiellement la Chine après une traversée éprouvante du désert de Takmalakan avec des chameaux. Nous avons découvert les « dunes chantantes » de Marco Polo de l’oasis de Dunhuang puis le site archéologique de la vallée des Mille Bouddhas, dont le plus grand de Chine (36m de haut) et et ses 492 grottes et  salles peintes (dont les vestiges datent du IV au XIVème siècle).

 

Great-Mosque-of-Xian- Source muslimvillage.comLa statue d’un légionnaire romain saluant un soldat chinois se dresse à l’entrée d’un village Liquian car selon la légende les descendants des légions perdues de Crassus auraient terminé leur vie ici. Le parcours a suivi le fleuve jaune jusqu’à la ville industrielle Lanzhou puis le village Xibe He Kou. Et nous sommes arrivés au terme du voyage, Xi’an, fin autrefois du long périple  des caravanes,  avec visite de la mosquée la plus ancienne de la  Chine pour la minorité musulmane. Les textes fondamentaux du bouddhisme sont apparus au VII ème siècle (rapporté par le sage Xuan Chang). Le voyage s’est achevé  près du tombeau du 1er empereur qui a unifié la Chine Qin Shi Huangdi avec son armée de terre cuite.

Armée de terre cuite de Kin Shi Huang - Source world-archaeology.com

 

Au 2ème siècle avant J.C., les empereurs Han, assiégés par les barbares nomades, cédèrent ce qu’ils avaient de plus précieux la soie en échange d’alliés et de chevaux. La Route de la soie vit alors le jour au 1er siècle avant J.C. quand les Chinois décidèrent de s’ouvrir au commerce extérieur, mais sans en révéler le secret de sa fabrication pendant plus de 2500 ans. Elle désigne un réseau ancien de routes commerciales entre l’Asie et l’Europe reliant Chang’an (actuellement Xi’an) en Chine à Antioche en Syrie médiévale (aujourd’hui en Turquie) ou à Tyr (dans le Liban actuel) en passant par le Turkestan chinois et le nord de la Perse. Dès l’antiquité la Chine exporta la soie par terre et par mer (voie maritime dangereuse du fait de la piraterie). La soie était transportée de la Chine vers le Moyen Orient et l’Occident en longues caravanes mais ne représentait qu’une partie du commerce effectué sur la Route de la soie. Les comptoirs, oasis ou places fortes, situés sur la route servaient aux échanges de marchandises entre caravanes (or, pierres et métaux précieux, épices, textiles, ivoire, corail, armes en bronze, porcelaine, thé, papier, cuir, fourrures, substances aromatiques, produits thérapeutiques,  etc…). Cette Route de la soie était dangereuse du fait des pillards. Rares étaient ceux qui effectuaient le voyage en entier (8000Km) qui pouvait durer plusieurs années. Elle a représenté aussi un axe de circulation des religions, des croyances. Elle a permis la diffusion d’objets, de savoirs scientifiques, techniques  et artistiques, la diffusion d’influences culturelles (persanes, occidentales, chinoises, indiennes…) d’où la réalisation de syncrétisme culturels, la fabrication du papier, la transmission de gènes, et l’établissement de relations diplomatiques et commerciales. Cette route est-ouest, qui assura des échanges commerciaux entre l’Occident et la Chine, perdurera jusqu’au milieu du Moyen Âge. Elle a été progressivement abandonnée au profit d’une nouvelle route maritime vers les Indes (« route des épices », « route des parfums »), à partir du IIème siècle, du fait de l’instabilité liée aux guerres turco-bizantines, puis la chute de Constantinople. La Route de la soie  a permis d’établir des liens entre des peuples très divers, d’intégrer des tribus qui vivaient auparavant isolées, elle a amené le bouddhisme, l’islam, le christianisme, le judaïsme, le manichéisme, le nestorianisme en Asie Centrale et en Chine. Elle tient son nom d’un géographe allemand F. Von Rischtofen qui la baptisa « Seidenstrassen » en 1870. Elle évoque pour certains un processus comparable à la mondialisation. Son histoire rappelle différents empires: mongol, byzantin, ottoman, des Turcs Khazars.

Au XVème siècle c’est l’essor de la production française de soie. Lyon en sera la capitale. Henry IV favorisera le développement de la sériciculture. L’Art de la soie atteindra son apogée au XVIII-XIXème siècle puis déclinera du fait d’une pandémie mondiale, la pébrine maladie due à un champignon qui détruit les vers à soie, de la concurrence étrangère (avec l’ouverture du canal de Suez qui permit de baisser les coûts de transport  pour les soies venues d’Asie) et l’apparition de fibres synthétiques.

La Chine voudrait faire renaitre la Route de la soie par voie terrestre,  en créant des infrastructures nouvelles (réseaux ferroviaires et routiers), pour le transport de marchandises de la Chine vers l’Europe en passant par l’Asie centrale et par voie maritime (en créant des infrastructures portuaires dans différents pays). Le projet ultime serait de faire transiter par ces axes commerciaux des données informatiques via des réseaux de fibre optique.

La route de la soie est vraiment un cheminement très long au cours des siècles et est le sujet de beaucoup d’articles de quoi s’y perdre!!! Je vais donc terminer par des « vers » de Charles Péguy

Les jours tissus de soie
Sur fond de laine,
Les sorts tissus de joie
Sur fond de peine.

Albizia - Source fleursetjardins.over-blog.comDe François de Malherbe: 12  ans de mariage sont les noces de soie

Ainsi de tant d’or et de soie, Ton âge dévide son cours, Que tu reçoives tous les jours Nouvelles matières de joie.

Et des fleurs de l’albizia (l’alcacia de Constantinople) appelé l’arbre à soie.

Sans oublier le papier de soie créé en Chine au IIème siècle composé de fibres de murier, utilisé alors pour l’estampe, la calligraphie et la peinture.