“Qui plante un jardin plante le bonheur”
Ce proverbe chinois, accompagné de cette photo d’un jardinier du château de Mey en Écosse (dont la famille royale britannique est propriétaire), permet de pénétrer l’univers des parcs et jardins. C’est avec ces réflexions de Erik Orsenna, que je fais la transition entre les 2 articles précédents concernant le “temps” et ce nouveau chapitre:
“Tout jardin est, d’abord l’apprentissage du temps, du temps qu’il fait, la pluie, le vent, le soleil, et le temps qui passe, le cycle des saisons”.
“Le jardin, c’est de la philosophie rendue visible”.
C’est le printemps, où la nature s’éveille, qui donne envie d’aller se promener dans ces havres de paix que sont les parcs et jardins, bulles d’oxygène au sein des villes. Mais au fil des saisons et des voyages la magie reste toujours la même, avec cette envie de retrouver des instants de sérénité, de calme et de détente. Il suffit de voir tous ces gens se reposant sur des bancs, soit plongés dans la lecture d’un livre ou d’un journal, soit somnolents en goûtant les bienfaits d’une sieste, soit palabrant en savourant ces moments d’échanges, voire de rires… comme si le temps était suspendu l’espace d’un moment, apparence d’un “arrêt sur image”.
Mais ce sont aussi ces promeneurs, ces joggeurs, ces photographes, ces peintres (d’hier et d’aujourd’hui), qui apprécient ces moments hors du trafic routier et de sa pollution, un peu hors du temps qui passe… Sans oublier ces amateurs de musique qui se retrouvent autour d’un kiosque à musique. Le premier kiosque permettant la diffusion d’une culture musicale, a vu le jour à Metz en 1852.
Chaque ville possède sa propre histoire concernant cette nature préservée au cœur de leur espace. A la Renaissance de nombreux jardins restaient pour la plupart privés. Les grands parcs et jardins royaux, seigneuriaux ou de la noblesse étaient peu ouverts au public. Puis des jardins botaniques sont apparus, précieux patrimoine public, à but scientifique pour transmettre un savoir (à Paris en 1635, à Montpellier en 1593) et au service des pharmacies et ont vu leur essor aux XVIII-XIXème siècles. La Révolution française a transformé de nombreux parcs en biens nationaux, ouverts alors au public. La notion de jardin public est née vers 1830 à l’époque de la Révolution industrielle et des premières concentrations urbaines, notamment dans les villes industrielles du nord, puis adopté par les reste du monde.
Lors de nos voyages en Écosse, nous avons parcouru bien des allées de parcs et jardins (lors de visites de villes et châteaux). Nous avons admiré les plantations: les fleurs avec toute une palette de couleurs et les arbres avec leur symphonie de nuances de vert. Nous avons ainsi capturé des centaines de photos de fleurs et d’arbres. Nous nous sommes reposés vers des bassins pour en contempler les reflets. Nous avons aimé des sculptures et ressenti l’harmonie de jardins avec des vieilles pierres (abbayes et châteaux en ruine)… Nous avons pris bien des escaliers, et des petits ponts. Et c’est toujours le charme qui opère…
Je vais continuer ce parcours des parcs et jardins mais je m’arrête un instant sur Paris. Le premier jardin public à Paris (de l’Évêché) est réalisé par le préfet Rambuteau, puis ce sont les grands travaux du Baron Haussmann (préfet de la Seine de 1853 à 1870) sous le règne de Louis Napoléon Bonaparte. Il a mené des travaux de rénovation de la ville, menant à un nouveau paysage urbain, orné d’arbres le long des avenues et des rues et à la création d’une vingtaine de squares, l’aménagement de bois et de plusieurs parcs conçus alors comme des lieux de détente et de promenade (bois de Boulogne, Vincennes, parcs Montsouris, des buttes Chaumont…). Paris serait la capitale la plus boisée d’Europe avec plus de 400 parcs et jardins. “L’urbanisme végétal” a vu le jour et s’est développé en Europe. Je m’attarde un peu avec un lien poétique de Jacques Prévert (Grand bal du printemps):
Paris est tout petit
c’est là sa vraie grandeur
Tout le monde s’y rencontre
les montagnes aussi
Même un beau jour l’une d’elles
accoucha d’une souris
Alors en son honneur
les jardiniers tracèrent
le Parc Montsouris
C’est là sa vraie grandeur
Paris est tout petit.
Pendant très longtemps les jardins ont eu plus un but utilitaire ( plantes médicinales et vivrières) et à partir du XVIème siècle ils prennent aussi une dimension décorative. Le style irrégulier des jardins paysagers est originaire d’Extrême Orient (plus précisément de Chine). Il ne se dessinera en Europe (notamment en Angleterre) qu’à partir du XVIIIème siècle. En fait l’histoire des jardins remonte jusqu’à l’antiquité. Dans l’une des plus anciennes langues de la Perse, le mot jardin (pairi-daeza) a donné “paradis”. Le premier jardin mythique de la tradition judéo-chrétienne, n’était-il pas “l’Eden” qui symbolisait le paradis? Le jardin perse adopté par l’islam était une représentation du paradis décrit dans le Coran. Une exposition à l’Institut du Monde arabe en 2O16 avait traité de l’histoire extraordinaire des jardins d’Orient (avec sur le parvis un très beau jardin d’Orient fleuri éphémère et une immense anamorphose végétale).
La structure du jardin paradisiaque idéalisé trace le chemin de l’irrigation, où l’eau apparait source de vie, symbolise la pureté et son écoulement incarne le passage du temps. Espace fermé, il est divisé en 4 parties, séparées par des canaux d’irrigation alimentant un bassin central et des fontaines, apportant la fraîcheur et créant une sensation apaisante. Il représente l’eau, la terre, le feu et l’air. Il comprend aussi des zones abritées. Il est reproduit dans les peintures et miniatures faisant référence à tous les sens: odorat avec le parfum des fleurs, ouïe avec le chant des oiseaux, le bruissement du vent et le murmure de l’eau, la vision avec des céramiques colorées et des reflets de l’eau…. C’est un peu le rêve d’une vie meilleure. Dans les cloîtres, l’arbre symbole aussi de vie, peut remplacer l’eau au centre.
L’histoire du jardin commence avec l’antiquité et les plus anciennes civilisations: Égypte, Perse (composée alors de l’Iran, l’Irak et la Syrie actuels), Grèce, Rome. Les jardins suspendus de Babylone (dans le sud de l’Irak actuel), sont mythiques (un documentaire sur Arte a porté sur les recherches archéologiques). Ils ont été décrits dans les textes d’auteurs grecs et romains, inspirés de sources anciennes notamment d’un prêtre babylonien Bérose. Ils étaient considérés comme l’une des sept merveilles du monde antique. Ils auraient été construits en 600 avant J.C. par Nabuchodonosor pour son épouse Amytis, d’origine perse qui avait le mal du pays (regrettant les montagnes et collines boisées de l’Iran occidental), mais ils n’ont laissé aucune trace à ce jour et n’ont pu être identifiés sur ce site. Le mythe reste entier avec tentatives de localisation et de représentation imaginée selon les descriptions issues des textes antiques (la construction dans sa forme, son étendue et les matériaux utilisés, les plantations, le système hydraulique…). Certaines recherches archéologiques auraient localisé ces jardins non pas à Babylone mais dans une autre ville Ninive.
Le jardin antique jouait un rôle important dans la vie sociale et économique. Les jardins étaient souvent entourés de murs pour protéger les plantes à vertus médicinales ou culinaires mais aussi décoratives. C’était aussi un lieu de repos et de loisirs. Le jardin persan a eu une grande influence dans la forme des jardins occidentaux du Moyen Âge et de la Renaissance. Le jardin peristyle romain (pièce extérieure) était orné de fontaines, tables, peintures murales et plantes odorantes. Des fouilles archéologiques à Herculanum et Pompéi ont mis à jour de nombreux jardins qui tenaient un rôle important (sur le plan architectural, esthétique, horticole, artistique etc…).
Différents styles de jardins sont caractérisés et outre le jardin persan, d’autres jardins présentent leur singularité, que je ne vais pas décrire en détail tant il y aurait à exposer. Je vais simplement les introduire. Le jardin japonais s’est inspiré du jardin chinois et tous deux guidés par la nature reposent sur un fondement philosophique avec une dimension spirituelle (bouddhisme, taoïsme). Le jardin chinois, monde en miniature, est à la fois esthétique et symbolique, dont l’eau et la pierre sont les éléments essentiels. Il présente un lien avec les Arts sacrés calligraphie, musique, poésie, peinture. Le jardin japonais cherche à idéaliser la nature et la reproduire en miniature. Le jardin “zen” est composé de mousse, graviers, sable, rochers… Il comporte des éléments décoratifs (lanternes, pagodes…).
Le jardin médiéval, clos, était composé de plantes à usage médicinal, culinaire, aromatique, ornemental et de fleurs pour la décoration, leurs parfums et leurs symboles. Les connaissances sur cette époque viennent de manuscrits (Le Roman de la Rose), d’enluminures issues des “livres d’heures” (de prières), de gravures sur bois. De nombreuses plantes ont été apportées pendant la période romaine, puis les croisades. A la fin du Moyen-Âge les parcs et jardins sont devenus plus grands. Serres et jardins d’hiver sont apparus (permettant la culture de plantes et fruits exotiques), ainsi que des terrasses surélevées cultivées, des fontaines et des statues.
L’Italie, berceau de la Renaissance, s’est inspirée des traditions gréco-romaines pour la structure de ses parcs et jardins. Le jardin s’est ouvert au monde extérieur. Le jardin français de cette époque a évolué du style humaniste italien au style maniériste puis baroque. C’est l’époque des jardins impressionnants de André Le Nôtre (Versailles, Vaux le vicomte…) voués aux fastes de la cour royale, comportant des parterres géométriques avec ses jeux de symétrie et de perspective. Le jardin à l’anglaise, anglo-chinois, est opposé au jardin à la française. Il présente des courbes, des formes irrégulières, des chemins tortueux, et la recherche d’un équilibre avec une grande variété des végétaux et des couleurs, agrémenté de statues et de bancs. Il est loin du schéma géométrique du jardin classique et sa perspective optique, mais il présente une perspective atmosphérique avec ses effets de profondeur (adoucissement des couleurs et des contours) et la redécouverte de la nature sauvage, poétique créant un ensemble esthétique. Marie-Antoinette s’est fait aménager un petit jardin à l’anglaise au Petit Trianon. Le jardin hispano-mauresque est d’influence jardins persans et byzantins, à l’origine se voulant l’évocation du paradis sur terre, et la représentation d’ un monde idéal. Il est sensuel et parfumé.
Beaucoup d’autres jardins sont décrits: d’agrément enclos privatif attenant à une maison, de curé, jardin clos, avant tout à but utilitaire (plantes potagères, condimentaires et médicinales, vigne et fleurs), lieu de repos et de méditation avec souvent un puits au centre ou un bassin attirant les oiseaux. Des jardins écologiques et communautaires sont nés. Certains jardins ont un objectif spécial comme les jardins xérophiles présentant des aménagements particuliers, adaptés à un climat sec et désertique pour réduire l’usage de l’irrigation, ainsi que d’autres jardins: de toiture, suspendus, auto-fertiles, de pluie, sauvage, tropical, botanique etc… Il est un petit jardin personnel “le jardin secret” qui un domaine réservé des pensées et sentiments intimes.
Les jardins ont évolué dans le temps et en fonction des régions et pays. Chacun a son histoire et ses caractéristiques: lieux de repos et de détente, d’aspiration et d’inspiration diverses, d’œuvre de paysagistes, ou d’amoureux de jardinage… l’univers des parcs jardins est tellement vaste qu’il est difficile de le résumer. Cet article en est donc une approche. Mais je vais clore par un nom John Muir, écossais (dont nous avons vu le musée à Dunbar), naturaliste et écologiste, défenseur de l’environnement, émigré aux États Unis à l’origine des parcs nationaux et avec des citations à méditer :
“Si vous possédez un jardin et une bibliothèque, vous avez tout ce qu’il vous faut” Cicéron
“Va prendre tes leçons dans la nature” Léonard de Vinci
Bel article …le printemps arrive et va nous permettre à nouveau de profiter de nos jardins !
Merci Sylvette. Oui il est temps que le soleil revienne et perdure…