Dans le silence des abbayes

 

Sweetheart abbey - Ecosse

 

Soeur Emma« Au détour d’un chemin creux, une porte de bois, dans un châssis en pierres, qu’une croix de fer surmonte: c’est l’entrée de l’abbaye » André Suarès

Cet article pousse la porte des abbayes, monastères, couvents, prieurés… avec  cette question: quelle est la différence entre ces lieux?

Pourquoi un tel sujet? C’est tout un passé de ma jeunesse en fait qui a ressurgi lors de la découverte d’une  petite photo (datant de 1958), retrouvée au hasard du tri d’archives  concernant  mes parents. C’était  « sœur Emma », une cousine de mon père,  à laquelle mes parents étaient très attachés et que nous allions voir quand elle était sur le chemin de nos vacances: Montpellier,  Lyon et Lourdes où elle a terminé sa vie. Mes souvenirs restent vagues quant à ses couvents.

La corrérie - la Grande Chartreuse - source WikipédiaD’autres souvenirs ont ressurgi durant le cheminement de l’approche de ce thème. Le musée du monastère de « La grande Chartreuse » qui ne se visite pas (maison mère des moines-ermites de l’ordre des Chartreux), et donne un aperçu  de la vie des moines.  Il est situé dans la correrie (appelé aussi « maison basse » de ce  monastère) lieu qui était destiné à l’habitat et aux ateliers des frères convers (chargés des travaux manuels et taches séculières du monastère). J’ai aussi en mémoire des chants grégoriens de tradition dans les monastères, mais ceci est à lui seul un vaste sujet!!!

 

J’ai tant d’images en tête,  lors de voyages (en Écosse, en Irlande, en France…),  de  monastères et d’abbayes, de « vieilles pierres » toujours aussi prestigieuses même en ruine qu’il est difficile de ne pas s’égarer dans les recherches sur un tel sujet. En effet quand on ouvre un chapitre sur un mot précis beaucoup d’autres pages se présentent…

 

Car ces lieux de paix sont marqués par l’histoire et le mystère voire le secret et dégagent toute une atmosphère particulière. Certaines abbayes bénédictines, dans différents pays (comme Montserrat en Catalogne, Pluscarden en Ecosse, Göttweig en Autriche…),  ouvrent leurs portes à de nombreuses personnes. Ces gens croyants ou non, de tous les âges sont en quête de silence, de méditation, aspirent à une pause à l’écart du monde ou du travail et recherchent à retrouver « un sens à leur vie » dans le calme et la sérénité.

Kylemore - Irlande - Mausolée D’autres comme l’abbaye bénédictine de Kylemore en Irlande dans le Connémara, fut une école très réputée de par son niveau. Elle fut fondée en 1920 sur le site du château de Kylemore construit à partir d’une histoire d’amour débutée en 1852. La vocation des sœurs a été l’éducation de jeunes filles non seulement irlandaises mais aussi de toutes nationalités mais elle ferma ses portes définitivement pour les élèves en 2010. Elle reste un  agréable lieu touristique, afin d’en financer l’entretien et d’assurer sa pérennité. Un mausolée réunit pour l’éternité le couple Margaret Henry et son mari Mitchell qui sont à l’origine de la construction de ce château achevée en 1871. En 1874 Margaret décéda tragiquement suite à une infection intestinale contractée lors d’un voyage en Egypte, en famille (ils avaient 9 enfants). Son corps fut rapatrié à Kylemore pour y être enterré dans le mausolée du parc du château. En son souvenir, Mitchell Henry fit également bâtir une église gothique dans le parc,  achevée en 1881. Mitchell  est mort quant à lui en 1910 et l’a rejoint « pour l’éternité ».

Kylemore - Irlande

 

Rosserk abbey - IrlandeClaregalway abbey - Irlande Toutes les abbayes ont leur historique qu’il est intéressant d’étudier avant d’y pénètrer. Certaines sont en ruine avec un passé tourmenté et douloureux comme en Irlande où le nom de Cromwell a laissé une trace sanglante de son passage, de destruction et reste dans la mémoire des irlandais. Ces abbayes semblent endormies dans leur lit de verdure et enchantent le promeneur, loin de ces  drames d’antan qui ont pu s’y dérouler.

Kelso Abbey - EcosseCependant quelques fleurs accrochées à leurs murs, quelques oiseaux résidents de ces lieux  insufflent un instantané de vie sur ces belles endormies. Les rais de lumière quand le soleil darde ses rayons réveillent ces vieilles pierres, avivent l’œil du photographe et inspirent le peintre. Ces lieux n’ont rien perdu de leur majesté…

Ross abbey - Irlande

Rosserk abbey - Irlande

 

 

 

 

David Roberts - Melrose Abbey - EcosseCes sites intéressent non seulement l’œil du photographe, des historiens, mais aussi des peintres, des scénaristes (pour des lieux de tournage de films), des écrivains (cadre principal de leur histoire)…  C’est aussi  une adaptation d’un roman porté à l’écran,  comme « le nom de la rose » d’Umberto Eco, qui donne toute la dimension à l’imaginaire et fait voyager aussi dans une bibliothèque irréelle.

 

Parfois la réalité brise un rêve. C’est ainsi que les illustrations du livre de Jules Verne « le rayon vert » ne correspondent pas à une vision de l’abbaye actuelle de l’île de Iona en Écosse (communauté monastique fondée en 563 par Saint Colomban exilé d’Irlande) ainsi que de sa nécropole ainsi décrite par l’écrivain:

« C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques… »

Après plusieurs destructions l’abbaye fut reconstruite en 1930. L’île de Iona (« île des druides ») fut le lieu des couronnements et des enterrements des premiers rois écossais (jusqu’à la fin du XIème siècle).

 

Saint Andrew Abbey - EosseIl est temps d’aborder le vif du sujet à savoir la différence entre ces différents termes: abbaye, monastère, prieuré, couvent.
Une abbaye est un monastère de moines catholiques ou moniales (religieuses contemplatives qui vivent cloîtrées), sous la direction « spirituelle » d’un abbé ou d’une abbesse.Ecosse - Dryburgh abbey
 
 
 
 
 
 
Ils sont voués au travail, à la copie de manuscrits, et à la prière dans la chasteté et l’humilité. Ce sont les abbayes monastiques (essentiellement  bénédictines et cisterciennes, mais d’autres ordres existent comme les chartreux, les ermites de Saint-Paul, les hiéronymites d’Espagne..). On retrouve une  autre sorte d’abbayes, celles de chanoines réguliers (les augustins , les prémontrés), communauté de religieux suivant la règle principalement de Saint Augustin. Outre les moniales bénédictines et cisterciennes, d’autres sont liées à des ordres mendiants (clarisses, dominicaines, carmélites).  C’est l’Ordre de Cluny qui est à l’origine de l’évolution des dénominations et qui définit l’organisation d’une abbaye.
 
 
 

 

Jedburgh Abbey
 
 
 
Abbaye de Sénanque - FranceLes conditions pour élever un monastère au rang d’abbaye varient suivant la règle de chaque ordre religieux. La communauté des moines et moniales qui vivent dans un monastère est menée par un supérieur qui n’a pas le titre d’abbé. Le monastère est souvent rattaché à une abbaye mère  ou directement au supérieur de l’ordre monastique. On retrouve des monastères dans les chrétientés catholique et orthodoxe (monastères des météores en Grèce) mais aussi dans d’autres religions comme le bouddhisme. Le mot monastère vient du grec « monakhos » (solitaire) car les premiers chrétiens qui vouèrent leur vie à la prière étaient des ermites isolés dans le désert d’Égypte.  Les « oblats » sont les enfants confiés aux monastères en vue de devenir moines.
 

 

 
 
 
Abbaye de Cluny - FranceCette communauté de moines et moniales suivent une règle qui dicte leur vie. La règle de St Benoit est souvent appliquée (il fonda l’abbaye du Mont Cassin en 529), d’où l’appellation abbaye bénédictine (d’autres règles existent de St Colomban, St Augustin…). L’influence des bénédictins fut considérable au Moyen Âge dans le domaine intellectuel grâce notamment à leurs ateliers de copie et d’étude de manuscrits et dans le domaine musical (chants grégoriens). Rapidement ces abbayes bénédictines sont devenues de grands centres économiques et intellectuels. Mais la direction des abbayes échappa en partie aux moines et les monastères s’appauvrirent pour diverses raisons. La réforme clusisienne enleva la nomination des abbés aux grands seigneurs pour échapper à l’emprise des laïcs, mais aussi des évêques et des diocèses et plaça les abbayes sous l’autorité directe de la Papauté. Les abbayes devinrent très riches. L’accent fut mis sur la prière et le travail intellectuel des moines, tandis que le travail manuel était en grande partie délaissé par les moines, mais  réalisé  par les paysans cultivant les domaines des abbayes..
 
Puis Les bénédictins subirent plusieurs crises où l’interprétation de la règle de saint Benoît fut remise en question. Ils donnèrent naissance alors à de très nombreux ordres religieux. Ainsi des moines voulurent un retour à un vie dans la sobriété, la pauvreté, une vie collective sévère et le travail manuel. Ils fondèrent l’ordre de Cîteaux des cisterciens popularisé par Bernard de Clairvaux.
 
Les croisades ont entraîné la création au XIe siècle d’ordres monastiques combattants, avec des moines chevaliers (Templiers, Hospitaliers, Chevaliers teutoniques…) vivant dans des commanderies (dirigées par un commandeur).
 
Paray le Monial - Prieuré - FranceLe prieuré est un monastère subordonné à une abbaye plus importante. Il est érigé en abbaye quand il a atteint une certaine autonomie sur le plan économique et personnel (nombre suffisant de moines, novices, postulants). Il est desservi par des moines de l’abbaye,  et  placé sous l’autorité d’un prieur dépendant d’un abbé.
Inchmahome Priory - Ecosse
 
 
 
 
 
Le couvent est plus ouvert sur le monde extérieur qu’un monastère. Il présente une organisation architecturale et sociale spécifiques, une communauté religieuse qui n’a pas vocation monastique et placée sous l’autorité d’un(e) supérieur(e). Les couvents des ordres mendiants (Franciscains, Dominicains, Augustins, Carmélites, …), ou apostolique (jésuites) et des ordres non monastiques apparus dès le XIIIème siècle, sont situés dans les villes (dans les faubourgs et les quartiers les plus pauvres). Alors  que les moines bénédictins, fidèles à la règle de St Benoit,  se consacrent à leurs propriétés agricoles et leurs monastères sont érigés à l’écart des villes. De multiples congrégations religieuses sont rattachées à ces différents ordres de quoi s’y perdre et  « y perdre son latin »!!!
 
Rosserk Abbey - IrlandeAbbayes et monastères sont des lieux clos entourés par une clôture. Le plan est souvent le même d’un édifice à l’autre organisé autour d’une cour carrée ou rectangulaire. C’est le cloître avec un jardin verdoyant autour d’un puits ou d’une fontaine, situé au cœur du monastère, et entouré d’une galerie à colonnades. C’est un lieu de vie essentiel de promenade, de prière, de silence et de méditation pour les moines. Il dessert les autres parties importantes: abbatiale (lieu de culte, église de l’abbaye), salle du chapitre (où l’abbé réunit les moines, lit et commente les chapitres de la Règle de l’Ordre), dortoir, réfectoire.
 
 
 
 
Jedburgh Abbey - EcosseCes cloîtres ont tous quelque chose d’envoûtant, silencieux, à l’architecture simple ou richement sculptée (qu’elle soit romane ou gothique),  tant de fois foulés par les pas qu’on imagine feutrés, des moines. Ils sont un lieu de passage aussi pour des visiteurs, admirateurs de tels édifices qui sont ouverts au public  ou  lieux abandonnés  et en ruine. Ces sites conservent toujours une certaine âme dont le connaisseur veut s’imprégner et que l’amateur de photo cherche à capturer avec son objectif, guettant le moindre rai de lumière, le meilleur cadrage pour choisir la bonne perspective…
 
 
 
 
 
Tableau de sableA la Révolution beaucoup de monastères ont été confisqués, vendus, voire détruits partiellement ou en totalité…La coule est le vêtement long des moines, avec capuchon et manches longues, porté pour les offices ( au nombre de 7:  vigiles, laudes, tierce, sexte, none, vêpres et complies).
 
 
 
 
 
Tableau de sablePour conclure: cet article n’est qu’un « survol » de ce sujet, car la recherche de l’historique d’une abbaye, d’un ordre religieux, etc… projette sur tellement d’autres voies qu’il est difficile d’être synthétique. Internet est vraiment un « puits de connaissances » sans fond et plus on avance dans la connaissance plus on a l’impression de s’égarer dans un dédale et de maitriser si peu de savoir!!!
 

 

 

2 réflexions sur “Dans le silence des abbayes

  1. De très belles photos sur ce blog et très interréssant sur les abbayes et monastères avec la vie des moines et autres

    • Merci pour votre commentaire.
      Nous avons visité tellement d’abbayes que j’avais envie de faire partager nos photos et mes recherches sur internet pour écrire cet article.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *