“L’âme du navire”
Je reprends cette évocation de Henri de Monfreid pour entrer dans l’univers des figures de proue.
Il y a fort longtemps, durant un séjour près du littoral, une exposition ayant trait à la marine nous avait fait découvrir ces emblèmes légendaires. J’ai retrouvé la photo de la copie de la figure de proue de la Santa Maria de Christophe Colomb dans un livre acheté à cette occasion et que je recherchais désespérément.
Je pensais que celui-ci avait disparu lors du “naufrage” au cours d’une inondation en 2006 où nous avons perdu tant de souvenirs, livres et photos. J’ai donc redécouvert ce livre parmi d’autres, acquis lors de nos voyages. C’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai à nouveau feuilleté.
On attribuait des pouvoirs surnaturels et protecteurs à ces figures de proue, sculptées dans le bois, situées à l’avant des navires, mais elles servaient aussi à effrayer l’ennemi. On faisait ainsi appel aux divinités pour conjurer le mauvais sort et les dangers de la mer. Cette croyance en la clémence des Dieux est très ancienne ( Phéniciens, Egyptiens, Grecs, Romains…).
Elles étaient les plus exposées aux assauts de la mer. A la fois décoratives et symboliques, mais aussi emblématiques, uniques et identifiables, très variées, elles représentaient aussi des images de richesse et pouvoir, véritables œuvres d’Art au XVIIIe siècle, pour des bateaux de roi et barques impériales.
Malheureusement beaucoup ont disparu lors de combats, emportées par les flots, et rarement retrouvées: sur une épave au fond de la mer, accrochées à un filet de pêcheur, ou échouées sur des plages…
Les drakkars des Vikings utilisaient surtout la figuration du dragon pour impressionner l’ennemi et effrayer les mauvais esprits. On attribuait au dragon, créature légendaire, un pouvoir protecteur de trésors en Grèce antique, mais aussi contre les esprits maléfiques des océans. Symbole de vie et de puissance en Chine, mais il est aussi le cracheur de feu qui figure les violences de la nature comme les orages avec tonnerre et éclairs. Dans le Christianisme il incarne le mal. Il hante l’imaginaire que ce soit dans la littérature, au cinéma ou dans les jeux vidéo.
D’autres figures de proues représentent des oiseaux: aigles ou oiseaux de nuit, cygne… L’aigle personnifie orgueil et puissance, le cygne aisance sur les flots.
Au Moyen Âge lions et griffons symbolisent la force. Puis des personnages mythiques héroïques apparaissent, des figures féminines, des déesses, des gorgones, des sirènes.
Symbole de la féminité et de la tendresse, la sirène accompagnait alors des marins qui devaient affronter les terribles tourments de la mer. Attirés par leur voix mélodieuse, des marins se seraient perdus en mer. Selon des légendes (dans “l’Odyssée” de Homère), les lamantins seraient à l’origine de ces sirènes. Christophe Colomb y fera référence dans son carnet de bord trouvant qu’elles n’étaient pas aussi belles que les Anciens le prétendaient. Ces lamantins émettent des sons proches de la voix humaine, des “lamentations”, gémissements et sifflements. De plus, lorsque la femelle lamantin allaite, ses glandes mammaires sont hypertrophiées. Le mythe des sirènes continue à alimenter l’imaginaire des “artistes” avec dessins, peintures, sculptures…mais aussi tracés dans le sable sur des plages…
Certaines figures de proue s’inspirent de légendes. Il est tout un bestiaire qui sert de modèle : animal légendaire comme la licorne mais aussi le cheval, des félins lion ou léopard, des animaux marins comme l’hippocampe mais aussi les dauphins amis des hommes.
Je termine par Venise qui a été une grande puissance maritime avec des bateaux richement décorés, de même les gondoles. Mais au XVe siècle, quand elle devient une République, elle impose couleur noire et forme de l’étrave uniforme avec un dessin qui la symbolise et montre son attachement à l’Eglise,
et pour finir un dernier mot l’œil protecteur peint sur des coques de bateaux de pêcheurs, “l’âme du bateau”.